Dimanche 21 avril, 4ème dimanche de Pâques B Méditation 2024.

Commentaires du père Jean-Marc Danty-Lafrance

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Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 10, 11-18

En ce temps-là, Jésus déclara : « Moi, je suis le bon pasteur, le vrai berger, qui donne sa vie pour ses brebis. Le berger mercenaire n’est pas le pasteur, les brebis ne sont pas à lui : s’il voit venir le loup, il abandonne les brebis et s’enfuit ; le loup s’en empare et les disperse.

Ce berger n’est qu’un mercenaire, et les brebis ne comptent pas vraiment pour lui. Moi, je suis le bon pasteur ; je connais mes brebis, et mes brebis me connaissent, comme le Père me connaît, et que je connais le Père ; et je donne ma vie pour mes brebis. J’ai encore d’autres brebis, qui ne sont pas de cet enclos : celles-là aussi, il faut que je les conduise. Elles écouteront ma voix : il y aura un seul troupeau et un seul pasteur. Voici pourquoi le Père m’aime : parce que je donne ma vie, pour la recevoir de nouveau. Nul ne peut me l’enlever : je la donne de moi-même. J’ai le pouvoir de la donner, j’ai aussi le pouvoir de la recevoir de nouveau : voilà le commandement que j’ai reçu de mon Père. »

 

Les hébreux étaient un peuple d’éleveurs nomades. Abraham était un berger. Le patriarche était regardé comme le berger de sa famille, de sa tribu. David était un berger. Les rois d’Israël étaient regardés comme les bergers de leur peuple. Il y en a eu de bons et de moins bons. Les prophètes ont pris la liberté de critiquer les mauvais rois, en les caricaturant comme de mauvais bergers. Il faut relire le chapitre 34 du prophète Ezéchiel. Le prophète y caricature les rois qui s’enrichissent au détriment de leur peuple, comme des bergers qui ne font pas attention aux souffrances de leurs brebis et qui ne les protègent pas des loups. Le prophète met sa critique dans la bouche même de Dieu et, aux versets 10 et suivants, Dieu annonce qu’il va lui-même se faire le berger du peuple, puisque les rois ne l’ont pas bien fait. Ainsi, souvent, dans la Bible, Dieu lui-même est regardé comme le berger de l’humanité, relisez le fameux psaume 23 (22) : « Le Seigneur est mon berger, je ne manque de rien… »

Jésus se fait facilement comprendre en prenant cette comparaison du berger qu’il développe dans deux directions : le berger mercenaire et le bon berger. Nous sommes en Galilée, le berger mercenaire, c’est le roi Hérode, à la solde de l’empire romain. Hérode ne s’occupe pas du peuple, il s’enrichit avec sa famille. Le peuple est abandonné au prédateur romain, le loup (la louve, Rome), et le peuple est « dispersé » (la diaspora). Un bon berger a une vraie relation avec ses brebis qui reconnaissent sa voix. Cette voix, c’est la Parole de Dieu,dans la culture d’Israël, le bon berger c’est Dieu. C’est Dieu qui donne la vie et un bon Israélite ne doit pas écouter d’autre voix que la Parole de Dieu. C’est là que l’évangile de Jean, à la fin de premier siècle, met dans la bouche de Jésus des mots qui sont une révélation de l’identité totale de Jésus. A la fois son identité par rapport à Dieu et son identité par rapport à nous. Jésus est identifié comme le pont entre nous et Dieu. Son lien avec Dieu est que Dieu est « le Père », le Père le connait et il connait le Père. Son lien avec nous est qu’il est « le bon berger », le bon berger connait ses brebis et ses brebis le connaissent, elles reconnaissent sa voix. Or c’est Dieu qui est le bon berger, en conséquence, Jésus est en service commandé, « le commandement que j’ai reçu de mon Père » est d’être berger au nom de Dieu, pour être « le bon » berger. Cela est condensé par une formule que Jean met dix fois dans la bouche de Jésus : « je suis » ou « c’est moi qui est » (ego eimi). « Je suis le bon berger », « je suis la porte », « je suis le pain de la vie », « je suis la lumière du monde », « je suis la résurrection », « je suis le chemin, la vérité et la vie », et 4 fois : « je suis » seul. Ces expressions sont mises en valeur comme des Noms, de la même manière que les Israélites prononcent des Noms de Dieu. Et, dans ces noms, le « je suis » est mis en valeur comme le Nom que Dieu a donné à Moïse : « Je suis qui je serai » Exode 3,14. L’écriture de Jean est celle d’un contemplatif qui voit tout d’un seul regard et il en résulte une écriture ultra condensée où beaucoup de choses sont dites en très peu de mots. Il faut se laisser interroger par les raccourcis du texte, qui laissent des questions sans réponses. Que signifie : « donner sa vie pour ses brebis » ? Quand un berger veut sauver son troupeau, il doit être le vainqueur sur les loups. S’il est vaincu par un loup, cela fera diversion, et les autres loups vont manger les brebis. Que signifie : « Il faut que je les conduise » : Comment peut-il les conduire s’il est tué par le loup ? Donc, il s’agit d’autre chose qu’un souci économique sur un troupeau de brebis. Jésus prend à contre pied toutes les manières de vivre de notre monde. Il prend à contre pied la loi du plus fort, l’idée d’un vainqueur. Jésus n’est pas un berger à la manière du monde. Quand il dit : je suis le BON berger, cela ne veut pas dire qu’il est meilleur que les autres bergers ! Cela veut dire qu’il est berger d’une toute autre manière. Jésus n’est pas un berger meilleur qu’Hérode, au même sens du mot berger. La révolution de Jésus n’est pas de prendre le pouvoir (et tout recommencerait comme avant, selon la loi du plus fort) mais de montrer un autre chemin, un chemin totalement différent. Les paroles mises par Jean dans la bouche de Jésus contiennent un éclairage lumineux. Une question y trouve une réponse : « voici pourquoi le Père m’aime… » Or nous avons compris que la relation entre le Père et Jésus trouvait son double parfait dans la relation entre Jésus et nous. Cette relation n’est pas un simple gardiennage de moutons, cette relation c’est l’amour (agapè) gratuit, le vrai amour de l’autre pour l’autre. Et cet amour est décrit avec deux verbes « donner » et « recevoir » comme les qualités d’un vrai amour. La bonne conjugaison de ces deux verbes est la réponse au « pourquoi » de l’amour du Père pour Jésus ; et c’est aussi la réponse à notre question : comment Jésus est-il bon berger, sans être ni le meilleur ni le plus fort, au sens premier de ces expressions. Le vrai amour est de se recevoir et de se donner tout entier, gratuitement, sans raison, seulement parce qu’on aime. Jésus se reçoit totalement du Père. Il n’est rien sans cet amour du Père pour lui. Et il peut se donner totalement, car il sait qu’il n’a rien en propre à lui-même, et qu’il reçoit tout du Père, et que le Père l’aime. Plus Jésus se donne, plus il se reçoit du Père. C’est ce que permet le vrai amour : le pouvoir de l’amour. Le mot « pouvoir », utilisé par le texte grec, n’est pas au sens de puissance (dunamis) mais au sens de permission (exousia) : ce qu’un vrai amour permet de vivre. Et c’est ce chemin que Jésus nous montre, sur lequel il veut nous conduire, dont il nous donne l’exemple, et qui fait de lui un berger autrement, un BON berger, de la bonté même de Dieu. Le bon chemin de l’amour n’est pas de conquérir l’autre, de le consommer, de le prendre, mais de l’accueillir et de recevoir le don gratuit d’un vrai amour. Suivre ce bon berger, c’est se recevoir de lui. Lui se reçoit du Père et se donne à nous. Il nous invite à nous recevoir de Lui et à nous donner à d’autres, sans crainte de rien perdre.

 

Lecture du livre des Actes des Apôtres 4, 8-12

En ces jours-là, Pierre, rempli de l’Esprit Saint, déclara : « Chefs du peuple et anciens, nous sommes interrogés aujourd’hui pour avoir fait du bien à un infirme, et l’on nous demande comment cet homme a été sauvé. Sachez-le donc, vous tous, ainsi que tout le peuple d’Israël : c’est par le nom de Jésus le Nazaréen, lui que vous avez crucifié mais que Dieu a ressuscité d’entre les morts, c’est par lui que cet homme se trouve là, devant vous, bien portant. Ce Jésus est la pierre méprisée de vous, les bâtisseurs, mais devenue la pierre d’angle. En nul autre que lui, il n’y a de salut, car, sous le ciel, aucun autre nom n’est donné aux hommes, qui puisse nous sauver. »

 

Jésus nous invite ainsi à reconstruire le monde autrement. Les bâtisseurs de ce monde rejettent Jésus. Jésus n’a rien à apporter à l’économie mondiale, basée sur la loi du plus fort. Jésus est une pierre qui ne sert à rien dans cette construction. Cette pierre est rejetée pas les bâtisseurs. Mais dans la construction du royaume de l’amour, cette pierre est une pierre d’angle, qui articule les uns et les autres pour les faire tenir ensemble. Dans cette manière de construire, les pierres se reçoivent et se donnent les unes aux autres. Le texte de l’Evangile, dans sa concentration de révélations, précise encore qu’il y a d’autres brebis qui ne sont pas de cet enclos. Dans la culture israélite, il s’agit des Goyim, des autres nations, des étrangers. A la fin du premier siècle, cette mention est importante, la pierre d’angle doit articuler les uns et les autres en une seule construction : « il y aura un seul troupeau et un seul berger » dit Jésus, pour le monde entier. Pierre se sent personnellement interpelé par cette phrase du psaume (118) qu’il cite dans son enseignement. Pierre s’appelait Simon, Jésus lui a donné le nom de Pierre, mais c’est pour lui donner un nom qui est, en fait, un nom de Jésus lui-même. Alors Pierre a compris qu’il ne peut porter ce nom qu’en se recevant totalement de Jésus, il ne peut pas être « pierre » par lui-même. Et, en se recevant de Jésus, Pierre peut se donner aux autres sans crainte de rien perdre, il peut devenir une pierre d’angle qui articule et rassemble et fait tenir ensemble. Alors dans sa Première Lettre, ce même Pierre nous dira à tous, « vous êtes des pierres vivantes » (1 Pierre 2,5). C’est notre vocation, notre mission, articuler les uns et les autres, travailler à construire la communauté humaine dans la communion et l’unité. Dans les Actes des Apôtres, les gens demandent à Pierre, à propos d’un infirme qu’il a remis debout : « comment cet homme est-il sauvé ? » Le texte ne dit pas « guéri », mais « sauvé ». La question est celle de nous tous : comment être sauvés ? Réponse : par l’attachement à Jésus. C’est le sens de l’expression « par le nom de Jésus ». Cela ne veut pas dire en prononçant un nom cabalistique, cela veut dire en se liant personnellement à Jésus, par la Foi EN Lui (je crois en Toi Seigneur), c’est-à-dire par une amitié intense avec Jésus, en se recevant de Lui.Pierre a donné Jésus à cet homme, non pas comme un guérisseur puissant, magique, vainqueur, mais comme un aimant, un donné.

 

Lecture de la première lettre de saint Jean 3, 1-2

Bien-aimés, voyez quel grand amour nous a donné le Père pour que nous soyons appelés enfants de Dieu – et nous le sommes. Voici pourquoi le monde ne nous connaît pas : c’est qu’il n’a pas connu Dieu. Bien-aimés, dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons n’a pas encore été manifesté. Nous le savons : quand cela sera manifesté, nous lui serons semblables car nous le verrons tel qu’il est.

 

Voilà le grand amour dont parle saint Jean dans sa lettre. Un amour « donné » à recevoir. Il faut se laisser aimer par Dieu, c’est ainsi qu’on devient petit à petit ce qu’il nous offre de devenir. Jean dit, nous lui serons semblables car nous le verrons tel qu’il est. Cela veut dire nous lui serons semblable dans la manière d’aimer, en le regardant aimer.Cela veut dire : s’aimer les uns les autres, de manière semblable à la manière de Jésus. Nous serons appelés « enfant de Dieu », si nous passons du royaume des loups au royaume des agneaux. Dans le chacun pour soi, dans la loi du plus fort, les mercenaires et les loups sont semblables. Dans la gratuité de l’amour, le berger et les brebis sont semblables. Jésus, ce berger, est comme un agneau ! Le monde ne peut pas comprendre ça ! dit Jean. Le monde qui compte sur lui-même ne peut pas comprendre ce que c’est de se recevoir et de se donner.Les personnes qui ne veulent rien devoir à personne, qui prétendent se construire elles-mêmes, qui se consacrent à leur propre réussite, le font en jouant des coudes, dans une société de loups. Elles se construisent contre les autres, loups au milieu des loups. Mais si nous reconnaissons que notre personnalité s’est construite, au long de notre vie, en nous recevant de toutes nos rencontres, avec toutes lespersonnes que nous avons croisées et de qui nous avons reçu ce que nous sommes devenus, depuis nos parents ; et si nous nous offrons, dans nos rencontres, pour donner aux autres le sentiment d’exister pour quelqu’un, les aidant ainsi à se construire elles aussi ; nous exerçons ce pouvoir de l’amour, de faire exister l’autre. Ainsi,devenus semblables à notre berger, il peut nous envoyer les uns vers les autres, comme des agneaux au milieu des loups (Mt 10,16 ; Luc 10,3).

 

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